Patrimoine en détour : enquête sur deux maquettes de vitraux
Document à la une de janvier 2025
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La présence de certains documents dans les Archives départementales du Loiret demeure parfois difficile à expliquer. Le cas se pose pour deux gouaches sur carton réalisées vers 1956 par le peintre verrier François Lorin, référencées sous les cotes 4 FI 6, 1 et 2.
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Mesurant environ 25 sur 35 cm, ces esquisses préparatoires représentent trois projets de vitraux destinés à l’église de Mainvilliers, fondée au Xe siècle et située près de Chartres, dans l’Eure-et-Loir. Cette commande, passée en 1955 par la commune auprès de François Lorin, s’inscrit dans les efforts de reconstruction visant à réparer les dommages causés par la guerre.
Mais alors comment et pourquoi ces documents, liés à un autre département, se retrouvent-ils conservés aux Archives du Loiret ?
Une piste intéressante serait de retracer l’historique de leur intégration dans les fonds, en étudiant les circonstances et le contexte de leur entrée à l’inventaire. Selon les sources internes, notamment le registre des entrées, ces deux gouaches firent l’objet d’une acquisition en février 1999 lors d’une vente aux enchères menée à l’Hôtel Drouot.
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L’essentiel de ce Document à la une vous est présenté sans réservation par un agent des Archives. Rendez-vous dans le hall du Pavillon Culture, au 29, boulevard Marie Stuart à Orléans :
- jeudi 23 janvier à 12h,
- jeudi 20 février à 16h
💡Acquisitions dans les services d'archives
Ce cas illustre le rôle clé des services d'archives dans l'acquisition et la préservation du patrimoine local. La politique d’achat d’archives privées évolue au fil des époques en fonction des contraintes budgétaires, des priorités patrimoniales ou culturelles ; mais elle constitue de facto un enrichissement complémentaire aux collections publiques. Ces acquisitions peuvent être réalisées auprès de particuliers ou d’opérateurs spécialisés, tels que des libraires ou des commissaires-priseurs.
Un maître verrier chartrain
À cet égard, les catalogues des maisons de vente aux enchères représentent une précieuse source d’information, facilitant l’identification de documents d’intérêt historique susceptibles d’intégrer les fonds. Toutefois, en ce qui concerne les esquisses mises en vente par les Maîtres Rieunier & Bailly-Pommery le 1er février 1999, la description fournie dans le catalogue reste relativement succincte. Sous une rubrique intitulée « ensemble de maquettes par le Maitre Verrier François LORIN, Chartres, fils de Charles LORIN », le lot n° 45 mentionne : 2 maquettes pour l’église de Mainvilliers. « Baptême du Christ », « Communion », « l’Ordre ».
François Lorin (1900-1972) s’inscrit dans une lignée prestigieuse de maîtres verriers basés à Chartres. Après la Seconde Guerre mondiale, il reprend l’atelier familial fondé par son grand-père en 1863. Tout au long de sa carrière, il se consacre à la restauration de vitraux anciens tout en produisant des œuvres contemporaines remarquables, offrant ainsi une vision moderne et audacieuse de l’art du vitrail. Parmi ses réalisations figurent de nombreux vitraux créés pour des églises en France et à l’étranger. Mais si l’intervention des ateliers Lorin est attestée dans quelques églises du Loiret, comme celles d’Outarville et de Saint-Pryvé-Saint-Mesmin, le lien entre François Lorin et notre département reste quasi inexistant.
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Une collection Lorraine
L'explication peut-elle être donnée par la provenance des documents ? Cette information, souvent citée dans les catalogues de vente, n’y figure pas ici. Cependant, chaque dessin porte dans l'angle inférieur gauche ou droit une petite marque bleue, mesurant à peine quelques millimètres, représentant les lettres C et J inscrites dans un cercle. Il s'agit d'une estampille apposée directement sur l'œuvre par le collectionneur. Cette pratique, courante au XXe siècle, permet d'identifier un objet ou une œuvre comme appartenant à une collection particulière — mais soulève parfois des questions d’intégrité historique et artistique.
Quelques recherches permettent d’identifier le nom de Claudius Mathias de Jonge (1932-1993), industriel et collectionneur d’origine allemande, principalement connu pour sa passion pour l’art du XIXe siècle. Mais là encore, l’achat des deux gouaches par les Archives départementales du Loiret nous échappe : cet amateur éclairé résidait à Scy-Chazelles, près de Metz, où il a constitué une collection d’œuvres diverses dont certaines ont rejoint les collections du Musée des Beaux-Arts de Reims.
L'hypothèse d'une confusion
L’hypothèse la plus probable qui expliquerait cet achat réside sans doute dans une erreur d'appréciation autour du nom Mainvilliers.
En effet, au moment de l’achat en 1999, il existait bien un village nommée Mainvilliers dans le Loiret. Situé au nord du département, près de la limite avec l’Essonne, Mainvilliers a fusionné le 1er janvier 2016 avec d’autres communes pour former une nouvelle entité appelée le Malesherbois, où Mainvilliers est désormais une commune déléguée.
Le macaron blanc apposé directement sur les cartons, portant le numéro 45 du lot de la vente, a peut-être également contribué à la confusion, ce numéro correspondant au code départemental du Loiret. Par ailleurs, l'acquisition des documents a sans doute été réalisée sans vérification préalable, en raison de la dynamique propre des ventes aux enchères, qui exige des décisions rapides sous peine de manquer le lot.
L'hypothèse de la confusion est renforcée par des inscriptions manuscrites au dos de chaque carton, vraisemblablement apposées après l’acquisition, et qui rendent compte d’un doute sur l’origine géographique de ces documents :
"à vérifier
3 Mainvilliers
57430
28229 (Eure et Loire [sic])
45190 (Loiret)"
L'énigme de ces gouaches, conservées aux Archives du Loiret, témoigne d'une curiosité propre aux archives : les documents patrimoniaux suivent parfois des parcours imprévus, marqués par des confusions ou des détours inattendus. Chaque document raconte non seulement l'histoire qu'il représente, mais aussi celle de son propre cheminement, entre mains privées, ventes aux enchères et acquisitions institutionnelles. Ces trajectoires singulières contribuent à leur valeur patrimoniale et, paradoxalement, à l'enrichissement des fonds archivistiques.
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